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Viktor le Terrible (1)

Bien que n'ayant jamais été champion du monde, Korchnoï est l'un des plus grands joueurs d'Échecs de l'histoire. Surnommé « Viktor le Terrible » pour sa ténacité et son caractère parfois colérique, il a été candidat au titre mondial de 1962 à 1991(!) et a remporté deux cycles des Candidats. Durant la Guerre froide, il est devenu apatride et a lutté seul contre le régime soviétique où ses duels homériques contre Karpov sont devenus légendaires. Retour sur la vie de cette figure emblématique du jeu.

Viktor Lvovitch Korchnoï naît le 23 juillet 1931 à Leningrad d'un père polonais travaillant dans une usine de confiserie et d'une mère pianiste d'origine ukrainienne.

Ses parents se séparent rapidement et c'est son père qui lui enseigne les échecs à l'âge de six ans.

Après la mort de ce dernier sur le front en novembre 1941, sa mère, incapable de subvenir à ses besoins, ne peut pas le garder.

D'abord élevé par sa grand-mère paternelle (qui décède en mars 1942), c'est finalement sa belle-mère qui prendra en charge son éducation.

Souffrant de dystrophie, il est hospitalisé l'été suivant et va survivre au terrible siège de Leningrad.

À l'automne 1944, Viktor rejoint le palais des Pionniers de Leningrad et sera formé par plusieurs entraîneurs, notamment Abram Model et Vladimir Zak.

Il progresse rapidement et atteint le niveau d'un joueur de première catégorie à la fin de la guerre.

En 1946, il remporte le championnat junior de Leningrad et se qualifie pour le championnat d'URSS junior où il termine 11-12e.

En 1947 et 1948, il gagne le championnat d'URSS junior, seul ou conjointement avec Ivo Neï.

Obtenant le titre de candidat maître l'année suivante, il poursuit parallèlement des études d'Histoire à l'université de Leningrad et obtiendra son diplôme en 1954.

En 1950, Viktor Korchnoï termine deuxième, derrière Mark Taïmanov, du championnat de Leningrad (+8, =2, -3) et dispute sa première demi-finale du championnat d'URSS (11-13e avec 50% des points).

En 1951, il réalise sa première norme de maître soviétique (5-7e au mémorial Chigorine) et devient le plus jeune maître soviétique à l'âge de 20 ans grâce à son résultat (5-8e) en demi-finale du 19e championnat d'URSS.

En 1952, il se qualifie pour sa première finale de championnat d'URSS à Moscou et se classe sixième (devançant des joueurs comme Keres et Smyslov).

Ces résultats lui permirent d'intégrer l'équipe des athlètes d'État en 1954 et de se consacrer pleinement à la discipline.

La même année, il se classe deuxième du championnat d'URSS, remporte son premier tournoi international à Bucarest et se voit décerner le titre de maître international par la FIDE.

Cependant, il échoue l'année suivante dans sa tentative de qualification pour le championnat du monde lors du 22e championnat d’URSS en terminant avant-dernier.

Après une pause sportive où il arrête de fumer, il remporte au mois de juin le championnat de Leningrad, puis le tournoi de Hastings en fin d'année.

En 1956, il obtint le titre de grand maître international et se qualifia pour sa cinquième finale du championnat d'URSS.

En 1957, Korchnoï gagne sa demi-finale du 25e championnat d'URSS mais ne termine que 9-11e de la finale à Riga.

En 1958, il épouse Isabela, originaire de Tbilissi, avec qui il aura un fils prénommé Igor.

En 1959, il remporte de nouveau sa demi-finale à Tcheliabinsk, ainsi que le tournoi international de Cracovie, puis devient champion d'URSS chez lui, à Leningrad, en février 1960 (+12 −3 =4).

https://lichess.org/study/9N3XV9Yf/AYJjjSZo

Ce titre lui permet de participer et de remporter plusieurs tournois à l'étranger (Buenos Aires et Córdoba en Argentine), ainsi que d'être sélectionné dans l’équipe nationale victorieuse aux Olympiades de Leipzig.

Participant à six Olympiades avec l'équipe soviétique entre 1960 et 1974, il reçut à chaque fois des médailles individuelles.

https://lichess.org/study/9N3XV9Yf/hkaI2SRr

Après avoir obtenu la seconde place au 28e championnat d'URSS, il se qualifie pour le tournoi interzonal de Stockholm de 1962 où il finit quatrième (à 3 points ½ du vainqueur, l'Américain Bobby Fischer).

Lors du tournoi des Candidats à Curaçao, il n'est que cinquième (13½ / 27) et attribue son échec à une conjuration mené par Geller, Kérès et Petrosian (ils annulèrent certaines de leurs parties rapidement pour s'octroyer plus de repos) pour l'empêcher - tout comme Fischer - de lutter pour la victoire finale.

Malgré cette contre-performance, sa soif de victoire ne tarit pas et Viktor accumule des victoires prestigieuses lors de cette décennie : le mémorial Capablanca de La Havane en 1963 et 1969, le championnat de Leningrad en 1964, Erevan (devant Petrosian) en 1965, Bucarest et le mémorial Chigorin de Sotchi (devant Spassky et Polougaëvsky) en 1966, ainsi que Wijk-aan-Zee (avec trois points d'avance sur le second, Tal !) et Palma de Majorque (devant Spassky, Larsen, Petrosian) en 1968.

En 1964, il manque la qualification pour le cycle des Candidats en finissant à la 5e place du tournoi zonal de Moscou mais domine de la tête et des épaules le championnat d'URSS de 1964-65 sans perdre une seule partie, avec deux points d'avance sur le second.

Cependant, sa carrière internationale est freinée par le Comité des Sports d'URSS et le champion du monde en titre (Tigran Petrosian) qui n'hésite pas à l'écarter régulièrement des grandes compétitions européennes et américaines.

Par exemple, la fédération soviétique l'oblige à céder sa place à la Coupe Piatigorsky 1963 au profit de la femme de Petrosian (!) ou de l'envoyer jouer un petit tournoi en Hongrie en 1965 - ce qu'il refuse - alors qu'il est invité à participer au tournoi de Zagreb en tant que champion d'URSS en titre...

Malgré ces tracas, il se relance dans la course au titre mondial après un match de barrage contre Mark Taïmanov et Gipslis au championnat d'URSS de 1967 et termine 2-4e à l’Interzonal de Sousse, ce qui le qualifie pour les Candidats.

En quart de finale, il bat facilement Samuel Reshevsky à Amsterdam en mai 1968 (+3, = 5).

https://lichess.org/study/9N3XV9Yf/mBvHj4rh

En juillet, il réussit à vaincre Mikhaïl Tal sur la plus petite des marges (5½ à 4½) mais lors de la finale des Candidats qui se tient à Kiev en septembre, Boris Spassky s'avère trop fort pour lui et il s'incline sur le score de 3½ à 6½ (+1, = 5, -4).

En 1970, il réalise le meilleur score dans une finale de championnat d'URSS (16 points sur 21) et remporte un quatrième titre en dix ans !

En tant que finaliste du tournoi des Candidats de 1968, il est directement qualifié pour le tournoi des Candidats de 1971 et gagne facilement son duel contre Efim Geller à Moscou par 5½ à 2½.

En demi-finale, il doit faire face au style solide et aride de l'ex-champion du monde Tigran Petrosian qui va se révéler être une véritable guerre d'usure psychologique.

Par son approche prudente, l'Arménien ne tente rien avec les pièces blanches, endort son adversaire durant les huit premières parties (huit nulles) et frappe dans la neuvième pour remporter le match sur le score de 5½ à 4½ (+1, =9).

En 1969, son entraîneur Semion Fourman le quitte pour s'occuper du jeune espoir soviétique, Anatoli Karpov.

Pris en charge par Gennadi Sosonko l'année suivante, Korchnoï commença à ressentir les effets de l'âge (il approchait de la quarantaine) et, après des résultats décevants, prit des mesures radicales pour améliorer sa condition physique et mentale en arrêtant de fumer et en adoptant un mode de vie plus sain.

Cette transformation va se refléter dans ses performances, notamment lors de l’Interzonal de Leningrad en 1973 où il finit premier en compagnie de... Karpov.

En 1974, il se qualifie de nouveau pour la finale des Candidats face à la coqueluche du Kremlin et, après un match intense de plus de deux mois, c'est finalement Karpov qui l'emporte sur la plus petite des marges : 12½ à 11½ (+3, =19, -2).

Korchnoï se plaint des conditions de ce match et dénonce le favoritisme des autorités envers son adversaire.

Ces déclarations déclenchèrent des sanctions sévères à son égard, notamment une exclusion temporaire de la sélection nationale et des restrictions de voyage à l'étranger.

Après avoir remporté un tournoi aux Pays-Bas en 1976, il demande l'asile politique et laisse derrière lui sa famille isolée en plein cœur de l'empire soviétique.

Les dirigeants du Parti ne lui pardonnent pas son départ, mènent une campagne de boycott contre lui afin qu'il ne puisse pas participer au cycle de championnat du monde, et s'efforcent d'effacer systématiquement son nom des revues, livres et annales sur le jeu d'Échecs dans tout le pays !

Malgré ces fortes pressions, Korchnoï ne se laisse pas démonter et va se transcender au cours du prochain cycle des Candidats.

Dans une ambiance électrique en pleine campagne toscane (à Il Ciocco), il va mettre à terre avec la rage au ventre son " ennemi juré " Tigran Petrosian en 1⁄4 de finale (6½ à 5½).

Au tour suivant, le cadre bucolique du Grand Hôtel qui borde le lac Léman ne l'apaise nullement et il massacre le pauvre Polougaïevsky (8½ à 4½).

À Belgrade, Korchnoï mène outrageusement les débats au cours des dix premières parties (5 victoires à 0) face à Spassky, mais Boris reprend des couleurs en remportant quatre parties d'affilées pour revenir à une longueur de son adversaire !

https://lichess.org/study/9N3XV9Yf/h05zjZm5

Néanmoins, la ténacité de Viktor lui permet d'inscrire deux nouvelles victoires dans les 17e et 18e parties et de remporter ce match (10½ à 7½) qualificatif pour la finale du championnat du monde 1978 !