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L'épopée hypermoderniste aux Échecs (2)

Malgré la victoire du Prussien Adolf Anderssen à Londres, Staunton et ses disciples règnent toujours en maîtres sur le royaume de Caïssa. À la fin des années 1850, l'arrivée du prodige américain Paul Morphy sur la scène échiquéenne va ébranler leur hégémonie et leurs certitudes ! Pourtant, c'est dans le sillage de ce dernier que va apparaître le premier véritable théoricien de l'histoire, un certain... Louis Paulsen.

Alors que les cafés parisiens et londoniens attirent les meilleurs joueurs de l'époque, les premiers clubs apparaissent à Berlin au tournant du XIXe siècle.

En octobre 1803, le sculpteur Johann Gottfried Schadow et trente-quatre autres joueurs fondèrent le Berliner Schachclub à quelques pas de la porte de Brandebourg.

Mais c'est la Berliner Schachgesellschaft (qui existe encore aujourd'hui sous le nom de BSG Eckbauer) créée en 1827 qui comptera parmi ses membres de très forts maîtres, notamment ceux de la " Pléiade ".

Sept maîtres, emmenés par le Dr Bledow, vont enrichir la théorie des ouvertures ( comme la création de la Défense Berlinoise, par exemple) et contribuer à l’élaboration de l'encyclopédie Handbuch des Schachspiels publiée en 1843.

Cet ouvrage, surnommé "le Bilguer", est devenu la référence en matière d'encyclopédie sur les ouvertures et a été réédité huit fois avant d'être remplacé par l'Informateur des Échecs dans les années 1960...

Tandis que deux adeptes du groupe - Carl Mayet et Bernard Horwitz - sont témoins de la victoire du plus pur représentant de l'école romantique en 1851, un jeune homme natif du comté de Lippe-Detmold (située dans l'actuel Rhénanie-du-Nord-Westphalie) va, après la mort de sa mère en 1853, émigrer aux États-Unis.

Louis Paulsen a tout juste 21 ans lorsqu'il débarque de l'autre côté de l'Atlantique pour aider son frère Ernst dans sa négoce de tabac située à Dubuque, dans l'Iowa.

Ses frères et sœurs s’adonnent également aux Échecs et il est courant de voir Louis et son autre frère aîné, Wilfried, pratiquer le jeu à l'aveugle.

Invité par W.S. Allison du club de Chicago en mai 1857, il se fait rapidement remarquer et devient le représentant de l'état de l'Iowa au premier Congrès Transatlantique qui commence le 6 octobre au 764 Broadway à New York.

Ce premier championnat des États-Unis avant la lettre est calqué sur le format du tournoi international de Londres qui a eu lieu six ans plus tôt.

Après avoir éliminé Calthrop (3 à 0), Montgomery (2 à 0) et Raphaël (+2, =1), il se retrouve en finale face au représentant de l'état de Louisiane, Paul Morphy.

Bien que le score soit égal après quatre parties (+1, =2, -1), l'extrême lenteur de Paulsen exaspère Morphy qui confie à John Fuller - après sa gaffe dans la troisième partie - que Paulsen ne gagnera plus une seule partie contre lui de sa vie !

Sa déclaration fut prémonitoire puisqu'il remporta les quatre dernières parties du match pour s'imposer sur le score de 6 à 2 (+5, =2, -1).

L'Allemand comprend qu'il faut travailler dur pour s'améliorer sur le plan théorique et commence à étudier méticuleusement les traités de Staunton et de Bilguer.

Malgré ses démonstrations impressionnantes en simultanées à l'aveugle (son record s'établira à 15 parties en 1859), il va surtout se distinguer par sa maîtrise défensive et ses innovations importantes dans différentes ouvertures.

Il retourne en Europe en 1860 et le début de la guerre de Sécession au printemps 1861 l'oblige à rester sur place et à se confronter aux meilleurs joueurs du Vieux continent.

Les résultats ne se font pas attendre puisqu'il remporte la première place au quatrième congrès britannique de Bristol en septembre, puis annule le match qui l'oppose au très fort baron Ignatz Kolisch (Paulsen menait 7 victoires à 6 et 18 nulles mais les deux joueurs se mirent d'accord pour que la rencontre se termine sans vainqueur) !

L'année suivante, il est second derrière l'ineffable Anderssen au tournoi de Londres (c'est le premier tournoi toutes rondes de l'histoire et la première fois qu'il est fait usage de la pendule) qui se déroule du 16 juin au 31 juillet 1862.

Face au futur champion du monde, il n'hésite pas à jouer avec le feu.

https://lichess.org/study/1d9blzri/RGvfkyjn

Parallèlement à ce tournoi, il est opposé à Adolf Anderssen dans un match singulier qui se termine sur un score de parité (4 partout).

Paulsen est alors reconnu comme l'un des meilleurs joueurs au monde et repart dans l'exploitation familiale à la fin de l'été.

En février 1864, il remporte à Leipzig son match face à Max Lange (5 victoires à 2) et, en mai, celui qui l'oppose à Gustav Richard Neumann (+5, =3, -2) à Berlin.

À l'exception de quelques parties amicales ou de démonstrations à l'aveugle, il ne participe à aucune compétition officielle les cinq années suivantes.

Son grand retour a lieu en juillet 1869 au second congrès annuel de la Fédération des Échecs de l'Allemagne du Nord où il obtient le deuxième prix après avoir perdu le match play-off contre... Adolf Anderssen !

Un an plus tard débute le tournoi international de Baden-Baden dans lequel il retrouve de nouveau Anderssen, mais également Steinitz, Blackburne et Neumann.

Malheureusement, la guerre franco-prussienne éclate le 19 juillet et la proximité de Baden-Baden avec la frontière française oblige certains joueurs à quitter précipitamment la compétition (Adolf Stern fut mobilisé et Samuel Rosenthal déclara forfait dans ses parties contre de Vere et Minckwitz).

Dans ce tournoi toutes rondes, Louis Paulsen va souffrir du manque de pratique, ne marquant aucun point face aux deux premiers (Anderssen et Steinitz), et termina en milieu de tableau.

À la suite du tournoi, il se consolera un peu en remportant un mini-match à l'aveugle face au Prussien (à l'exception de Morphy, il remportera toutes les rencontres de ce type dans sa carrière) et prendra sa revanche en août 1871 en terminant vainqueur du tournoi de Krefeld devant ce même joueur.

Deux ans plus tard, il retrouve le gratin mondial au cours de l'Exposition Universelle qui se déroule dans le Prater de Vienne.

Mais, comme à Baden-Baden, il termine à une décevante cinquième place, laissant Blackburne et Steinitz se disputer la victoire finale dans un match play-off (remporté 2 à 0 par l'Autrichien).

Toutefois, il va démontrer qu'il a conservé toute sa technicité.

https://lichess.org/study/1d9blzri/ssS17Lvr

Quand on regarde de près les parties de ses matchs face Kolisch, Anderssen, Blackburne, Lange ou Neumann, on se rend compte que son style était plus adapté à ce format de jeu et ce n'est pas un hasard qu'il battra Adolf Anderssen lors de ses rencontres de 1876 et 1877.

Pourtant, le plus grand succès de la carrière de Paulsen coïncida avec le « Jubilé du cinquantenaire échiquéen » d'Anderssen !

En effet, il sera vainqueur du tournoi de Leipzig disputé du 16 au 21 juillet 1877, devançant Anderssen et Zukertort (à noter qu’avec ses deux parties par jour, cet événement s'est déroulé en six jours seulement).

Paulsen remporte également le congrès d'Allemagne de l'Ouest disputé à Francfort en août 1878 (ce sera le dernier tournoi d'Anderssen avant son décès sept mois plus tard), termine second l'année suivante (derrière Englisch) au congrès de l'Association allemande et s'impose facilement dans son match contre Schwarz (5-2) quelques jours après la fin de l'événement.

Mais il va connaître au début de la nouvelle décennie des difficultés à se maintenir dans l'élite mondiale...

En effet, il termine seulement neuvième sur seize au tournoi de Wiesbaden en 1880 (remporté par Blackburne) et, bien qu'il se reprenne deux semaines plus tard en remportant le 13e congrès ouest allemand, il finit de nouveau neuvième au deuxième congrès allemand de 1881, loin derrière Blackburne et Zukertort.

L'année suivante verra les meilleurs joueurs de l'époque (Steinitz, Blackburne, Chigorin, Winawer, Bird, etc) se réunir à Vienne pour célébrer le 25e anniversaire de la Société viennoise des Échecs.

Ce grand tournoi est parrainé par l'empereur François-Joseph Ier en personne et, malgré un prix total de 7 500 francs (environ 4 millions d'euros) avancé par les barons Ignatz Kolisch et Albert Salomon von Rothschild, plusieurs compétiteurs se retireront en cours de route !

Bien qu'ayant pris un mauvais départ, Paulsen limitera la casse en fin de tournoi et terminera huitième (Steinitz et Winawer partageront la première place après un match de barrage).

https://lichess.org/study/1d9blzri/cCII2tIN

Après sa piètre quatorzième place au congrès allemand de 1883, il se mettra en retrait de toute compétition jusqu'en 1887 où il prendra une huitième place au congrès allemand de Francfort.

Il conclut sa carrière en se classant cinquième à Nuremberg en 1888 et quatrième à Breslau en 1889.

Il meurt du diabète le 19 juillet 1891 à Blomberg à seulement 58 ans, sans avoir écrit un seul livre sur son travail.

Comme je l'ai déjà énoncé plus haut, les idées de Louis Paulsen ont principalement apportées des améliorations défensives pour les Noirs, notamment dans la Défense Française et la Sicilienne (il est le véritable inventeur des variantes Boleslavsky, Kan et Taïmanov).

Il avait compris bien avant Steinitz l'importance du jeu défensif afin de maintenir l'équilibre d'une position et a anticipé des idées défendues plus tard par Nimzowitsch.