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Bogoljubow, l'éternel optimiste (2ème partie)

« [...] Je considère M. Bogoljubow comme un « non-gentleman », un homme dont on peut tout attendre à tout moment... M. Bogoljubow a, dans chaque tournoi auquel nous avons participé (de pire en pire à chaque fois), apporté avec lui une telle atmosphère de haine, d’envie et d’imprudence, un plaisir malin qui m’empêchait sans doute de développer toutes mes forces. » - Extraits de la lettre d'Alekhine à Norbert Lederer du 15 février 1924.

Depuis le succès d'Alekhine à Buenos Aires, les négociations pour un match revanche avec Capablanca étaient au point mort.

Le Cubain froissa l’ego du Français en lui adressant une copie du courrier qu'il avait envoyé au président de la FIDE en février 1928 dans laquelle il proposait de changer les cadences de jeu et de limiter le nombre de parties à seize dans les prochains championnats du monde.

Bien que Capablanca faisait référence à l'organisation des futurs matchs, et non à celui qu'il souhaitait disputer avec Alekhine, ce dernier l’accusa de vouloir modifier les règles qu'il avait lui-même créées en 1922.

C'était sans compter sur le fait que la majorité des membres du bureau exécutif de la FIDE souhaitait reprendre la main sur l'organisation du championnat.

Elle suggéra de sélectionner quatre grands maîtres comme candidats pour le titre - après le match revanche - et considérait Efim Bogoljubow comme challenger officiel grâce au titre obtenu sous son égide !

Le 28 octobre, Alekhine demanda à l'Allemand de déposer avant trois mois un forfait de 500$ comme le stipule les accords de Londres et qu'il accepterait le défi de " Capa " en cas d'échec...

Les pourparlers entre les deux joueurs sont cordiaux et avancent tellement bien que le 1er février 1929 est publié un article dans le magazine Deutsche Schachblatter (une publication de la fédération allemande des échecs) dans lequel Alekhine dit que " le match contre Bogoljubow m’intéresse bien plus que le combat contre Capablanca. [...] Bogoljubow est un adversaire beaucoup plus sérieux. ".

Bien que Bogoljubov ne peut garantir que 6000 dollars et couvrir les frais du champion, Alekhine accepte finalement de jouer le match.

La rencontre se disputera au meilleur des 30 parties et débute donc le 6 septembre 1929 à Wiesbaden ; puis se déroulera dans plusieurs villes européennes : Heidelberg, Berlin (où Lasker jouera le rôle d'arbitre pour les parties), La Haye, Rotterdam et Amsterdam.

Malgré une défaite catastrophique dans la partie initiale, le challenger marche au bord du précipice dans les deux suivantes sans chuter et réussi tout de même à égaliser au score après la sixième partie.

Malheureusement pour lui, il va permettre à son adversaire de reprendre la main grâce à une bourde dans une position supérieure dans la 7e.

Il faut dire que l'Allemand n'avait pas lésiné sur sa préparation d'avant match en disputant le fort tournoi de Carlsbad qui prenait fin seulement une petite semaine avant cette rencontre (!) et il est probable que la fatigue commençait à le gagner.

" Une erreur n'arrive jamais seule ", c'est un dicton qui reflète parfaitement bien le début du challenger lors de la 8e partie.

En plaçant étrangement son Fou de cases blanches derrière ses pions et en poussant trop loin le pion f, il permet une réaction violente d’Alekhine qui fit sauter brutalement les verrous de l'abri du Roi blanc pour remporter la première victoire du match avec les pièces noires.

Survint alors une interruption de deux semaines afin que le champion du monde puisse assister au 6e congrès de la FIDE qui se tient à Venise.

Cette pause et les changements opérés dans son répertoire d'ouvertures auraient pu bénéficier à Bogoljubow mais, à la reprise du match, il n'arrive toujours pas à combler son retard et reste à deux longueurs du Français après quinze parties.

Malheureusement pour lui, les dix dernières rencontres sont un véritable calvaire et il se prend littéralement un mur en totalisant une seule victoire pour cinq défaites !

Son audace et sa témérité n'auront pas suffit à faire vaciller du trône un champion aussi solide et endurant qu'Alekhine.

Malgré le score sans appel de 15½ à 9½, cette rencontre de championnat du monde aura été animée avec pas moins de seize parties décisives et riche en trouvailles et nouveautés théoriques.

Autant le match de 1927 fut un récital dédié quasi-exclusivement au Gambit-Dame refusé, autant celui-ci peut être considéré comme le premier de " l'ère hypermoderne " avec l'emploi de la Nimzo-indienne, de la Grünfeld ou de la Slave.

Cette lourde défaite n'impactera pas son niveau de jeu puisque dès l'année suivante, il obtient la médaille d'argent au premier échiquier de l'équipe allemande aux olympiades de Hambourg et se place 4e au tournoi de San Remo (derrière Alekhine, Nimzowitsch et Rubinstein).

En 1931, Bogoljubow finit second du tournoi de Bled derrière son " meilleur ennemi " (Alekhine) mais réalise encore du beau jeu comme ici :

https://lichess.org/study/jZcHQW0E/6YXZD3h7

Après avoir remporté le championnat d'Allemagne en 1933, le NSDAP arrivé au pouvoir en début d'année lui apporte le soutien financier nécessaire pour qu'il lance au mois d'octobre un nouveau défi au champion du monde.

Alekhine ne se fait pas prier, accepte la proposition et la rencontre débute donc en avril 1934.

Les conditions sont identiques à la précédente rencontre avec un nombre limité à trente parties et le vainqueur devra marquer 15½ points et obtenir au moins 6 victoires.

Cette fois-ci, le match qui se déroule dans une douzaine de villes allemandes ne suscite pas l'engouement du public car Bogoljubow n'est plus considéré comme un challenger légitime.

Son déroulement le prouve puisqu'après onze parties, le score est de 4 à 1 et que six parties plus tard, il est porté à 6 à 1 !

Finalement, Alekhine obtient les 15½ points nécessaires après 26 parties et l'emporte par 15½ à 10½.

Un mois plus tard, les deux protagonistes se retrouvent en Suisse pour disputer un tournoi commémorant les 125 ans de la Société d'échecs de Zurich dans lequel sont également présents Euwe, Flohr, Nimzowitch, Bernstein, ou encore Emanuel Lasker qui n'a pas joué de parties officielles depuis 1925.

Non sans mal, Alekhine l'emporte devant Euwe et Flohr, tandis que " Bogo " doit se contenter de la 4e place.

https://lichess.org/study/jZcHQW0E/9wDYljE1

À partir de cette période, ses résultats individuels seront plus décevants et montreront qu'il ne fait plus partie du top mondial.

Preuve en est qu'il n'obtient que la 10e place au tournoi de Nottingham en 1936, partage la 4e à Bad Nauheim (derrière Alekhine, Keres et Ahues) et termine 5e à Dresde (il est devancé par Alekhine, Engels, Maroczy et Stahlberg).

Malgré ses réussites durant la période 1936-1937 face au nouveau détenteur du titre Max Euwe, il n'est pas invité au super tournoi AVRO de 1938 où la jeune garde brillera devant les trois derniers champions du monde.

Cette même année, il devient membre du parti nazi pour permettre à ses filles de s'inscrire à l'université et suivre des études supérieures.

Début 1939, il dispute un match en vingt parties contre Eliskases, champion en titre de la " Grande Allemagne " (les joueurs de nationalité autrichienne ont intégrés le championnat allemand après l'Anschluss).

L'Autrichien de 25 ans est vainqueur du duel (+6, =11, -3) et sera soutenu par la fédération nationale - Grossdeutsche Schachbund - pour devenir un potentiel challenger au prochain championnat du monde (... qui n'aura jamais lieu).

Au début de la Seconde Guerre mondiale, Bogoljubow s'installe à Cracovie et rencontre le gouverneur général de Pologne Hans Frank au château de Wawel où réside le futur criminel de guerre.

Il travaille alors comme interprète en langue russe jusqu'en avril 1941 puis sera embauché dans les hôpitaux militaires pour donner des cours, des séances de parties simultanées, etc.

Au cours de l'été 1941, il se rend à Karlsbad pour affronter Max Euwe dans un match qu'il perd assez largement par 3½ à 6½.

https://lichess.org/study/jZcHQW0E/XRL5km5L#last

Entre 1941 et 1943, il prend part aux tournois où se trouve également Alekhine dans l'Europe occupée et doit se contenter des places d'honneur (entre la 3e et la 5e position).

D'ailleurs, nos deux " larrons " disputeront un mini-match (1 victoire chacun) en mars 1943 dans la ville de Varsovie occupée, sous le " regard bienveillant " de Hans Frank et de son entourage...

Après la guerre, il est boycotté un moment par les organisateurs de tournois et les dirigeants de la FIDE à cause de son rapprochement avec les nazis et ne sera pas autorisé à participer au tournoi de Groningue en 1946, ni au championnat du monde de 1948.

Bien que vivant en Allemagne de l'Ouest, ses apparitions se font plus rares mais il sera finalement présent au tournoi zonal de Bad Pyrmont en 1951 (il prendra la 7e place).

La FIDE lui décernera le titre de Grand Maître la même année et Bogoljubow s'éteindra un an plus tard à Triberg, à l'âge de 63 ans.